
La Chronolyse, c’est inquiétant. C’est même dangereux.
Surtout pour un homme de 1966 qui plonge, sans l’avoir voulu, dans le Temps incertain, alors même que l’exploration chronolytique n’est pas inventée. Et quand commencent à surgir des fissures de l’avenir ou des possibles, les séides inquiétants de Harry Krupp Hitler 1er, empereur de l’Indéterminé, quand on ne peut plus attendre d’aide que d’un avenir menacé et d’indications que des phords de Garichankar, quand la réalité quotidienne se dédouble et se contredit, on en vient vite à douter de sa raison.
La raison de qui ?
La vôtre ou celle de Daniel Diersant, écartelé entre les injonctions contradictoires du docteur Holzach, psychronaute, et des Pêcheurs de la Perte en Ruaba ?
Ce roman donne le tournis, à en devenir aussi fou que le principal protagoniste. Car la même scène se joue et se rejoue indéfiniment. On ne sait plus où est la vérité, ni qui est qui, entre le Docteur Holzach, le psychronaute, Daniel Diersant, un employé victime d’un accident près de cent ans plus tôt, et Renato Rizzi, un marin dont on se demande bien ce qu’il vient faire dans cette galère. Ils sont un, en quelque sorte, coincés dans une période de temps invariable et menacés par une sombre organisation, HKH, aux aspirations hitlériennes. Il est probable que l’auteur a l’intention de nous perdre, pour mieux nous repêcher. Et ça marche ! À chaque fois que la scène se rejoue, des détails différents, des angles de vue contradictoires, des décors disparates, tiennent le lecteur en halène ou viennent semer le doute. Vont-ils se sortir de ce piège éternel ? de ce lieu hanté par un gardien qui essaye d’éliminer Daniel Diersant ? de ce temps qui boucle à l’infini sur lui-même ? de l’effet du mebsital, cette drogue au pouvoir chronolytique ? de cet ultime instant entre la vie et la mort ?
Le lecteur finira par trouver des réponses, étonnement cohérentes, et par découvrir la Perte en Ruaba, une sorte de paradis qui réserve bien des surprises.
La science-fiction française possède de nombreux atouts. Michel Jeury avec ce roman original en est un, c’est certain.