Pourquoi les ebooks coûtent-ils si chers ?
Les derniers livres que j’ai achetés sont des ebooks, ou livres numériques pour les puristes du verbe francophone. Si je choisis ce support de lecture plutôt que le livre papier, c’est principalement par flemme et peut-être un peu par impatience. Pas besoin de se déplacer dans une librairie, pas besoin d’attendre un délai de livraison. Un simple clic, et me voilà plongé dans une lecture passionnante sélectionnée à peine quelques secondes plus tôt. C’est appréciable, surtout quand je pars en vacances au milieu de nulle part.

Et puis, pour un amateur de science-fiction comme moi, faire appel à la technologie numérique est une évidence. Surtout quand elle ne présente pas plus de désagréments, d’un point de vue écologique, que sa version matérielle en papier. Je sais, cet aspect est polémique aussi. J’y reviendrai plus tard dans un autre billet.
Mais au-delà du confort procuré par un ebook, à chaque fois, ou presque, que je passe une commande, je rouspète, je m’indigne, sidéré par le prix. Et à chaque fois, je me pose la question : Bon sang ! Pourquoi les ebooks coûtent-ils aussi chers ? D’autant que dans trop de cas, même le livre en version poche est moins cher que l’ebook !
S’il ne peut être donné, je comprends qu’il y a des frais à couvrir pour la réalisation et la diffusion d’un ebook. En revanche je doute que la pratique actuelle des éditeurs soit équitable.
Alors pour me faire une idée plus concrète du juste prix d’un ebook, je me suis lancé dans des calculs pour tenter de le recomposer.
Première approche : comparaison avec le prix d’un livre broché en papier
D’après le site Quelle est la répartition du prix de vente d’un livre ? (librinova.com), pour un livre en papier vendu 20 € en librairies, la répartition des coûts est la suivante :

TVA : 1,10 € (5,5 %)
Auteur : 1,40 € (8 %)
Diffusion et distribution : 3,60 € (18 %)
Fabrication : 2,80 € (14 %)
Édition : 4 € (19 %)
Point de vente : 7,10 € (35,5 %)
Sur cette base, supposons que l’on vende le même contenu, mais en numérique, via une librairie en ligne. On donne à l’auteur le même droit d’auteur que pour un livre papier, soit 1,40 € (il n’y a pas de raison qu’il gagne plus ou moins en fonction du support de son œuvre). Ensuite, diffusion et distribution sont nulles. Pas de stock ni de transport pour un objet virtuel. Pour la fabrication, zéro aussi. Le fichier du livre est créé une fois pour toutes lors de la mise en page, donc pas de coût de fabrication. Pour l’éditeur, on peut garder les 4 €. Il faut bien qu’il paye les relecteurs, les correcteurs, les graphistes, la mise en page, le codage du livre, la publicité. Des coûts incompressibles quel que soit le support de l’œuvre. Quant au point de vente, il est virtuel. Les amazon.com, fnac.com et autres librairies en ligne mettent à disposition leurs serveurs. Je suis convaincu que ça ne leur coûte quasiment rien étant donné qu’il y a déjà l’équivalent papier présenté en ligne, mais soit, soyons (très) généreux et allouons-leur la totalité des 35,5 %. Enfin, à cela ajoutons la TVA de 5,5 %.
On obtient : (1,40 € + 4 €) + (35,5 % + 5,5 %) = 5,5 + 5,5 x (41 / 100) = 7,755 €, disons 8 € pour arrondir.
En résumé, pour un livre en papier (broché) vendu 20 €, l’ebook correspondant ne devrait pas dépasser les 8 €, soit moins de la moitié !
Seconde approche : comparaison avec le prix d’un ebook du domaine public
Une autre approche pour se faire une idée d’un prix raisonnable pour un ebook est de regarder les prix des ebooks des œuvres populaires du domaine public.
Voyage au centre de la terre – Jules Verne
Prix du ebook : 4,99 €
Vingt mille lieues sous les mers – Jules Verne
Prix du ebook : 6,49 €
Le prisonnier de la planète Mars – Gustave Le Rouge
Prix du ebook : 7,99 €
Les Trois Yeux – Maurice Leblanc
Prix du ebook : 5,49 €
Les hommes frénétiques – Ernest Pérochon
Prix du ebook : 5,99 €
On le voit, certains éditeurs, et pas des moindres, vendent des ebooks d’œuvre du domaine public entre 4,99 € et 7,99 €. Soit dit en passant, c’est effarant ! D’autant que l’on peut les trouver gratuitement et tout à fait légalement sur d’autres sites… Mais c’est une autre histoire et j’y reviendrais surement aussi dans un autre billet. Pour en revenir à nos moutons, avec ces 5 à 8 €, l’éditeur rentre logiquement dans ses frais, mais ne rémunère pas d’auteur. Donc c’est le prix que l’éditeur est prêt à vendre un ebook, sans compter les droits d’auteur. Si à ce prix on ajoute les droits d’auteur, soit 1,40 € pour rester cohérent avec le premier calcul, on obtient un prix entre 6,39 et 9,39 €. Soit, encore une fois, avec une moyenne d’environ 8 €, un résultat très proche du premier calcul.
Le prix actuel des ebooks
Maintenant, comparons ce résultat à la liste de mes 10 derniers ebooks achetés (avec les prix fnac.com relevés le 7 octobre 2024) :
La Trilogie baryonique – Tome 2 : Système de la tortue, Pierre Raufast
Broché 20 € ; ebook 14,99 €
La Trilogie baryonique – Tome 1 : La tragédie de l’orque, Pierre Raufast
Broché 20 € ; ebook 14,99 € ; poche 8,60 €
Vallée du silicium, Alain Damasio
Broché 20 € ; ebook 14,99 €
L’Évangile selon Myriam, Ketty Steward
Broché 18 € ; ebook 9,99 €
Résistance 2050, Aurélie Jean, Amanda Sthers
Broché 21 € ; ebook 14,99 €
Les Enfants de Paradis, Arnauld Pontier
Broché 16 € ; ebook 3,99 €
Collisions par temps calme, Stéphane Beauverger
Broché 8 € ; ebook 3,99 €
Eutopia, Camille Leboulanger
Broché 24,90 € ; ebook 12,99 € ; poche 10,10 €
Alfie, Christopher Bouix
Broché 22 € ; ebook 4,99 € ; poche 9,50 €
La prophétie des abeilles, Bernard Werber
Broché 22,90 € ; ebook 8,99 € ; poche 9,40 €
Premier constat : la majorité des ebooks sont vendus plus chers que la moitié du prix de son équivalent broché, et certains dépassent leur équivalent poche ! La majorité des ebooks, en France, sont donc vendus à des prix abusifs.
Second constat : les ebooks récents semblent coûter plus chers que les plus anciens. Il est probable que les éditeurs ajustent leur prix à la baisse quand les ventes chutent. À la rigueur, un prix variable en fonction de la demande, pourquoi pas ? Tant que l’on reste dans une limite équitable.
Bien sûr, cet échantillon ne peut donner une vue exhaustive et ne peut être une base fiable pour de plus amples statistiques. Elle est néanmoins révélatrice. On voit clairement que des éditeurs sont capables de vendre un ebook moins cher que le livre de poche équivalent, ou à bien moins de la moitié du prix du livre broché. Non seulement ces cas consolident mes hypothèses de calcul, mais en plus ils démontrent que c’est possible pour tout éditeur, grand ou petit !
Alors pourquoi certains éditeurs vendent-ils très chers leurs ebooks ?
Maintenir un prix élevé sur l’ebook permet de ne pas les vendre… pour vendre plus de papier !
La plupart des éditeurs possèdent leur réseau de fabrication, de diffusion et de distribution. S’ils baissent le prix des ebooks, ils en vendront plus, et par conséquent, ils écouleront moins de livres en papier. Or le papier, c’est le corps de leur métier. Ils perdront en rentabilité et leur entreprise risquerait de passer dans le rouge. C’est du moins l’argument que l’on entend, mais il n’est pas vraiment fondé. La part des ebooks en France est à moins de 10 % des livres vendus. Il n’y a pas péril en la demeure ! D’autant qu’aux USA, où les ebooks sont vendus bien moins chers qu’en France, leur part ne représente que 20 %. Le livre papier n’est pas près d’être détrôné.

J’estime, au contraire, que le risque pour les éditeurs est plus grand sur le papier que sur le numérique, à cause du marché volatil du papier. Combien de petits éditeurs-imprimeurs ont dû fermer leur porte après la hausse significative du prix du papier pendant la crise sanitaire du COVID-19 ? Les grands groupes ont pu vivre sur leur trésor de guerre, pas les petits…
Le vrai risque, à mon avis, se situe au niveau des librairies indépendantes qui ont déjà du mal à faire face à la concurrence des grandes enseignes, FNAC ou Cultura pour ne citer que les plus emblématiques. Une baisse conséquente de chiffre d’affaires globale du livre papier pourrait sonner la mise à mort des librairies les plus fragiles. Mais comme je l’ai déjà dit, le livre papier a encore de beaux jours devant lui.
Alors pourquoi les éditeurs qui ne veulent pas vendre d’ebooks les mettent-ils quand même en rayon ?
Un éditeur qui ne proposerait pas d’ebooks passerait pour un ringard. Son image de marque en souffrirait ! Un éditeur se doit de regarder vers l’avenir et de miser sur le numérique, non ?
Voilà comment on arrive à un tel paradoxe, à ce numericwashing ! Que l’on pourrait traduire par « blanchiment numérique » dans la langue de Molière…
En conclusion
Soyons audacieux et tentons un appel à nos éditeurs.
Chers éditeurs, revenez à des prix d’ebook équitables !
Sur la base d’un livre broché de 20€, il serait raisonnable de ne pas vendre l’ebook correspondant à plus de 9,99 € pour une nouveauté. Une fois l’effet nouveauté passé, il serait appréciable que le prix de l’ebook soit baissé en dessous du prix du potentiel et futur format poche, c’est-à-dire pas plus de 6,99 €.
Je doute qu’un quelconque éditeur ne lise un jour ce billet, mais on ne sait jamais. Alors, au cas où, à bon entendeur !
Crédit photographique : Pixabay et FNAC